vendredi 9 juillet 2010

J'avais commencé de vous raconter comment j'étais devenu conteur...
A l'époque où se passe l'histoire suivante j'étais tout jeune conteur, en recherche de ma parole profonde...


La Mamet et les Arabes

J'aime bien conter dans ces soirées de village où les gens du pays sont là, parfois plus par habitude et plaisir de se retrouver à boire des coups ensemble, que pour écouter particulièrement le conte, la conférence ou le groupe de musique.
J'avais raconté les histoires, les contes qui me tenaient à cœur devant une cinquantaine de vieux et plus jeunes qui, bien qu'accoudés pour une partie à la buvette quand j'étais arrivé, avaient assez vite fait silence sans que l'on soit obligé de le leur demander.

C'était une soirée tranquille de fin d'été. La plupart des touristes étaient déjà repartis et le village reprenait à nouveau sa vie de famille. Je sentais qu'ils étaient entre eux et pas mécontents de l'être à nouveau même si bientôt les querelles et vieilles habitudes tristounettes reprendraient leur chansonnette.
Mais ce soir là c'était l'occasion d'un petit plaisir avant les vendanges que l'on faisait ici en famille et avec les quelques habitués qui venaient aider depuis des années.

Les contes évaporés dans l'air du temps on est passé à l'apéro et au repas. Les longues tables avaient été installées sous le préau de l'école et les tilleuls soigneusement taillés lors de la récolte, au début de l'été.
Bien sûr tous se sont groupés par affinité et c'est avec les organisateurs que je me suis trouvé assis.
Le vin était bon, le repas plantureux et joyeux et mes voisins curieux ont voulu savoir qui j'étais, d'où je venais ce que faisaient mes parents etc etc. j'ai eu aussi droit à quelques histoires du pays avec les précautions d'usage «oh je raconte pas aussi bien que vous mais écoutez voir...».
Bref, une superbe soirée.

Et puis avant de se séparer comme j'étais en compagnie de ceux qui m'avaient invité une mamet s'est approchée. Je l'avais observée dans la cour, une vieille femme avec le sac à main qu'elle tenait à deux mains comme pour se rassurer. Elle a profité du moment où je tournais la tête vers elle pour glisser sa demande:
«Dites, Monsieur le conteur, le conte que vous avez raconté là, ce soir, il vient de quel pays?»
Je lui ai dit que c'était un conte de la méditerranée; je crois. Elle a hoché la tête, semblant satisfaite, et j'ai poursuivi ma conversation.
Mais en fait la mamet était toujours là comme si elle avait autre chose à dire ou demander. Je me suis retourné vers elle et pour la deuxième fois elle a fait un pas et:
«Mais de quel pays, dans la méditerranée?»
Je lui ai répondu que c'était le Liban.
Encore une fois elle a semblé se satisfaire et je crois qu'elle a du à ce moment là tâcher de poser le Liban sur sa propre carte de la méditerranée. Et quand ce fut fait, moi qui la guettais du coin de l'œil, je l'ai vu espérer le moment propice pour sa remarque suivante.
Je me suis retourné vers elle et elle m'a dit :
«Le Liban, c'est des arabes?!»

Et là, quand on me pique sur ce sujet je réagis.
Voulant couper court à la dérive raciste possible j'ai répondu d'un ton peut-être un peu sec:
«oui, Madame, c'est des Arabes!»
«Alors» a-t-elle ajouté «s'ils racontent des choses comme ça je vais les regarder autrement!»

Et elle est partie.

Après ça, vous raconteriez n'importe quoi?