mercredi 25 mai 2011

Une très belle réflexion d'Henri Gougaud, conteur, écrivain...


Première nouvelle. En Australie est une tribu de gardiens du monde. Ces primitifs ( ils sont une poignée, personne ne s'occupe d'eux, et ils s'en moquent) accomplissent tous les jours, depuis la nuit des temps, un rituel dont je ne sais rien, sauf qu'il a pour fonction de préserver la vie du monde, de garder le monde vivant. Ces gens, paraît-il sont convaincus que s'ils oubliaient un seul jour de dire leurs incantations et d'inscrire leurs gestes sacrés dans l'espace, la fin du monde surviendrait à l'instant.
Deuxième nouvelle. Savez-vous quelle est la ville d'Europe où sont nés le plus d'enfants, en 1993, au point qu'il a fallu créer deux maternités supplémentaires, où l'on ne peut garder les nouvelles qu'un jour, tant on s'y bouscule ? Sarajevo. (information rapportée par l'hebdomadaire «Courrier International»)
On peut dire : «Ces gardiens du monde font rêver, certes, mais ils ne sont évidemment pas raisonnables. Leur foi est, au mieux, amusante. Il va de soi que le monde ne s'arrêterait pas s'ils cessaient leurs gesticulations». On peut dire : «Le baby-boum de Sarajevo ? Faut pas rêver ! Sans électricité, sans télé, que voulez-vous qu'ils fassent, le soir ? Ils font des gosses !»
On peut dire cela. Et après ? Y a-t-il une vie, y a-t-il un élan, une découverte, une création possible, après qu'on ait dit cela ? Non. Il y a seulement une porte de prison qui se referme sur quelqu'un, au fond du coeur (une part de nous-même, un être, je ne sais) qui se dit qu'il n'en sortira jamais.
«Marche, Tzigane, ton pas fait du bien à la terre». C'est une belle phrase, n'est-ce-pas ? Mais pensez-vous que cette phrase dise une vérité vraie ? Non, bien sûr. Elle fait rêver, mais vous pensez, au fond, qu'elle s'en fout, la terre, des godasses tziganes.

                           Alors quoi ? Nous sommes là, les artistes, les saltimbanques, «pour faire rêver» ? Dieu du ciel ! «Faites-nous rêver !», autant dire : «racontez-nous des mensonges agréables». Nous devrions entendre cette phrase comme une insulte, mille tonnerres ! Sommes des marchands de drogue ?

Non et non. En tout cas pas moi.

                Je me dis que je ne sais rien de la vie, de ses détours, de ses acharnements. Je me dis que je ne sais pas ce que savent vraiment ces culs-terreux de gardiens du monde. Je me dis que la terre est un être vivant et que oui, elle doit aimer ces errants qui savent tout des vents, des plaines, des montagnes.
Peut-être est-il vrai qu'une poignée d'Aborigènes australiens tient le monde à bout de bras. Peut-être est-il vrai que la vie puise ses forces les plus éblouissantes dans les lieux même des pires horreurs.
Peut-être est-il vrai que le pas des Tziganes fait du bien à la terre.

         Sans ce «peut-être» là qui nous pousse sans cesse vers les bouts du monde, et même au-delà, y aurait-il jamais eu, entre autres oeuvres, entre autres paroles, des contes et des conteurs ? 
        Sans ce «peut-être» là, sans cette fenêtre ouverte sur l'infini possible, moi, en tout cas, je me tairais.



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